Rusé et brillant, il était le plus intelligent de sa génération. Orateur hors pair, maîtrisant le verbe diplomatique et révolutionnaire de la langue de Molière et le shiduwantsi comorien, Chehou fut un politique exceptionnel. Il a gravi tous les échelons et a raté la seule conquête de sa vie : Beit- Salam.
Carrière publique bien remplie
Mouzawar Abdallah est un plaisir de rencontre. Inspecteur de pédagogie
de formation, il savait user le verbe et choisir le moment pour exprimer
son point de vue et tracer une projection de sa vie politique. Député
sous la colonisation et sous Djohar, puis président de l’Assemblée
pendant la colonisation, trois fois ministre après l’indépendance dont
deux années remarquables au Ministère des affaires étrangères sous Ali
Soilih, puis président de la Cour constitutionnelle sous Azali 1,
Mouzawar Abdallah a occupé toutes les hautes fonctions publiques. Dans
sa vie politique, il ne lui restait que Beit Salam pour porter le
meilleur de sa génération à la tête de l’État. Réputé pour ses
conversations, son esprit et son expression. Mouzawar Abdallah est notre
Talleyrand national.
Un personnage énigmatique
Qui le
connait vraiment ? Mouzawar Abdallah est demeuré un énigme personnage.
C’est un homme fascinant et passionnant pour lequel chaque rencontre est
une vie, une ouverture au monde et une richesse humaine. Tous ses
interlocuteurs retiendront différentes personnalités de sa vie : rusé
pour les uns, orateur brillant pour les autres ou Chehou, le cheikh de
la politique.
De mes nombreuses rencontres, j’ai abordé tous les
aspects de la vie : l’homme, la généalogie, son parcours politique
notamment sous Ali Soilihi, sa participation à la table
constitutionnelle ayant permis à Ahmed Abdallah de modifier la
Constitution lui permettant d’envisager de se représenter en septembre
1990, son soutien à Djohar et à Taki.
Ses choix pouvaient susciter
controverse et débats, c’est la grandeur de l’Homme. Député à
l’Assemblée nationale, il coalisa avec les verts pour la destitution du
Prince Saïd Ibrahim. Ministre sous Ali Soilih, son beau père, le Grand
cadi Saïd Mohamed Abdourahmane et son beau frère, Abbas Djoussouf
croupissaient en prison. Conservateur tout en étant l’ami politique
d’Abdelkader Hamissi de Mtsangani, le formateur de la jeunesse
révolutionnaire des Comores. Opposant à Ahmed Abdallah, il a participé à
la table ronde donnant une légitimité à la candidature d’Ahmed
Abdallah. Soutenant Abbas Djoussouf en 1990, il choisit au second tour
de soutenir Djohar, le candidat du parti au pouvoir contre l’opposant
Taki. En 1996, il s’est rallié à Mohamed Taki contre son beau frère
Abbas Djoussouf. Soutien d’Azali dès le premier tour, il a rompu avec ce
régime autoritaire et pris la défense de Ahmed Hassane El Barwane injustement condamné.
Pour le commun des mortels, cette trajectoire pourrait être considérée
comme un parcours sans cohérence. Pourtant, Mouzawar Abdallah a servi
avec fidélité la Nation, ayant permis l’opposition politique d’être
structurée et de contribuer à la grandeur du pays à l’étranger.
Lorsque je lui ai interrogé sur ce parcours mouvementé, il m’indiqua
toujours l’Histoire sera le seul juge. Parmi ses faits d’armes qu’il
aimait rappeler, sous Ali Soilihi, malgré les hostilités de la France,
il a su ouvrir les Comores au monde et a permis la formation de
plusieurs générations de cadres Comoriens dans les universités
africaines et mondiales.
Un esprit vif et un généalogiste hors pair
Jeune lycéen, je lui rendais souvent visite en compagnie d’Ibrahim Barwane, Youssouf Soule
et bien d’autres. Il savait retenir notre attention tant il était une
encyclopédie politique et une grande bibliothèque de sciences humaines.
Il aimait disserter sur la philosophie, animait des échanges sur le fait
religieux aux Comores et transmettait avec pugnacité les vertus des
bandes dessinées pour l’acquisition des compétences linguistiques et
historiques.
De mes nombreux échanges personnels, il aimait bien
situer la généalogie de notre famille, les Charif Abdallah, bien située
sur la sphère publique et décisionnelle.
Un travail biographique inachevé
J’avais entrepris de faire une œuvre sur sa vie. Nous avions décidé de
travailler ensemble en acceptant de m’ouvrir ses archives. Nous avions
débuté ce travail en 2001. Ce travail n’a pas pu aboutir pour deux
raisons : la distance et la disponibilité.
Sa mort est une immense perte pour les Comores. Notre pays perd un de ses meilleurs fils. Un monument politique est en péril avec la mort de Mouzawar Abdallah. La langue comorienne perd un de ses meilleurs locuteurs.
Mgou namrehemou inchallah amine.
Nakidine Mattoir historien
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