Pour sa nouvelle conférence, l’auteur de «Introduction à la grammaire structurale du comorien», Mohamed Ahmed-Chamanga, est revenu sur les principes de base de l’orthographe de la langue comorienne. Riche en intervention et question, le rendez-vous s’est transformé en indignation contre l’absence du Shikomori dans le programme scolaire. Plutôt légitime.
Loin de s’être contenté du format classique auquel nous avait habitué le Centre de documentation et de recherche scientifique (Cndrs), pour expliquer les principes de base de l’orthographe du comorien, Mohamed Ahmed-Chamanga s’est érigé en professeur.
Avec son micro sans fil et son stylo feutre, le conférencier
s’est tenu debout, durant presque toute la durée de son intervention,
pour communiquer sur ses recherches sur les sons de la langue
comorienne, sa complexité morphologique, son appartenance à la famille
des langues bantu et sur les règles d’écriture des formes verbales. Plus
de deux heures trente de conférence durant lesquelles le public,
attentif et conquis, n’a bougé que pour poser des questions ou souhaiter
avoir des précisions, ce qui a contribué à rendre l’exposée du «maitre»
encore plus riche.
«Cela me fait plaisir de voir tant de jeunes à ma conférence, ils
représentent bien la relève du pays. Aujourd’hui encore, nous sommes
habitués à écrire le shiKomori comme bon nous semble alors qu’il nous
faut un code pour écrire. Je suis conscient que ce n’est pas en une
seule conférence que les gens vont pouvoir apprendre à manier notre
langue. Il faut qu’on trouve le moyen de l’enseigner à nos enfants»,
devait soutenir le linguiste.
«Une honte»
De prime abord, selon lui, pour pouvoir bien écrire le shiKomori, il faut tout d’abord «mettre de côté» tout ce qu’on connait de l’alphabet français car «bien que les deux langues utilisent les caractères latins, les prononciations sont loin d’être les mêmes».
Il est vrai qu’ aujourd’hui encore, le bateau tangue quand il
s’agit d’écrire en comorien. Ecrivains, journalistes, étudiants, chargés
de communication, chacun écrit comme bon lui semble. «C’est une honte
pour le pays, après près de quarante-huit ans d’indépendance», se sont
insurgés certains intervenants. Le nombreux public présent au Cndrs
démontre l’amour et la soif des uns et des autres d’apprendre cette
langue qui n’est toujours pas enseignée à l’école.
Conférencier et intervenants n’ont eu de cesse de rappeler que de
nombreuses études montrent que l’enseignement de la langue maternelle
est un facteur essentiel d’inclusion et d’apprentissage de qualité et
qu’il améliore les acquis de l’apprentissage et les performances
scolaires.Malheureusement, de ce côté-là, les choses ont du mal à
bouger. Comme l’a dit un intervenant, le temps n’est pas aux belles
paroles mais à des actions précises qui nous mèneront, effectivement et
dans les meilleurs délais, à enseigner la langue comorienne.
«Enseigner une langue n’est pas chose facile. Il faut une volonté
ferme. Aujourd’hui le pays dispose de suffisamment d’experts qui
pourraient aider à mettre en place une politique d’enseignement de la
langue dans les écoles. J’ai la désagréable impression que, sur le plan
linguistique, nous sommes toujours colonisés et c’est vraiment
regrettable.
On accorde plus d’importance aux langues étrangères qu’à la nôtre», a répliqué le conférencier. Sur cette lancée, Me Faïza Saïd Bacar s’est indigné sur le fait que des écoles comoriennes interdisent à leurs élèves de parler en shiKomori à l’école, même pendant la récréation avant de conclure en ces termes : «Comment peut-on comprendre qu’une école française enseigne le Shikomori et pas les écoles comoriennes».A propos d’enseignement, Mohamed Ahmed-Chamanga a, toutefois, rappelé qu’une «bonne partie» du travail pouvant permettre d’enseigner le Shikomori a été réalisée.
«Rappeler un danger»
C’est, semble-t-il, le «parlé» shiNgazidja qui pose le plus problème bien qu’il soit riche et intéressant notamment sur les conjonctions et les prépositions. La langue du roi-poète, Mbae Trambwe, est une langue agglutinante étant donné qu’elle renferme des traits grammaticaux marqués par l’assemblage de morphèmes.
Pour Mohamed Ahmed-Chamanga, la tenue de cette conférence
constitue, pour lui, un «avertissement, sur le danger qu’il y a à ne pas
enseigner» le shiKomori : «Il m’arrive de lancer des paris avec mes
étudiants à l’université pour celui d’entre eux qui arriverait à parler
shiKomori durant trois minutes sans un mot étranger. Personne n’y ait
jamais parvenu. Nous sommes vraiment en danger. Il n’y a pas de pays
sans langue et mettre en avant une autre langue que la sienne c’est tuer
une Nation. Aujourd’hui, le plus gros du travail a été fait, il nous
faut l’appliquer le plus rapidement possible», devait exhorter le
directeur du Cndrs, Dr Toiwilou Mzé Hamadi.
Qu’est-ce qu’on attend?
Jusqu’au XIXe siècle, beaucoup ont pu penser que le shiKomori était un dialecte swahili, ce qui est loin d’être le cas. La communauté scientifique n’avait accordé aucun intérêt à cela jusqu’aux années 1970. Il fallait, par ailleurs, attendre jusqu’en 1992 pour voir le comorien devenir une langue officielle à côté du français et de l’arabe, cela grâce à l’association pour le patrimoine de la langue comorienne. Malheureusement, il n’y a que les deux premières qui sont, aujourd’hui enseignées. «Qu’est-ce qu’on attend pour sauter le pas?, s’est interrogé l’assistance.
«Je suis comblé avec la tenue de cette conférence. Chamanga est de ceux qui ont mené un important combat pour montrer que le shiKomori est une langue bien loin du Swahili. Je vois par-ci et par-là l’organisation de concours de dictée en shikomori et je me demande comment cela se fait-il à un moment où on n’a toujours pas de loi sur la langue comorienne et on ne sait plus quelles règles suivre?», s’est, pour sa part, inquiété le professeur, Moussa Saïd.
Source : Mahdawi Ben Ali /Alwatwan
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